Chapitres
Le poème
A UNE PASSANTE
La rue assourdissante autour de moi hurlait.
Longue, mince, en grand deuil, douleur majestueuse,
Une femme passa, d’une main fastueuse
Soulevant, balançant le feston et l’ourlet ;Agile et noble, avec sa jambe de statue.
Moi, je buvais, crispé comme un extravagant,
Dans son oeil, ciel livide où germe l’ouragan,
La douceur qui fascine et le plaisir qui tue.Un éclair… puis la nuit ! – Fugitive beauté
Dont le regard m’a fait soudainement renaître,
Ne te verrai-je plus que dans l’éternité ?Ailleurs, bien loin d’ici ! trop tard ! jamais peut-être !
Car j’ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais,
O toi que j’eusse aimée, ô toi qui le savais !
Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal, 1854
Méthode du commentaire composé en poésie
Avant la lecture
Il faut étudier le paratexte, c'est-à-dire le titre, l'auteur, la date, etc. Ces informations doivent être recoupées avec vos connaissances émanant du cours (courant littéraire, poète, recueil, etc.).
Le titre engage également à des attentes. Il donne des indices sur la nature du poème que le lecteur s'apprête à lire.
En poésie, la forme est décisive : regarder le texte « de loin » permet d'avoir déjà une idée de la démarche du poète :
- Vers, strophes ?
- Si vers : vers réguliers, vers libres ?
- Si vers réguliers : quel type de rimes ?
- Le nombre de strophes...
Pour la lecture
Nous vous conseillons de lire le poème plusieurs fois, avec un stylo à la main qui vous permettra de noter ou souligner une découverte, une idée.
1ère lecture :
- Identifier le thème général du poème,
- Identifier le registre : comique ? pathétique ? lyrique ? etc.,
- Identifier les procédés d'écriture pour diffuser le sentiment du registre choisi : l'exclamation ? La diérèse ? etc.
2ème lecture :
- Dégager le champ lexical,
- Place des mots : un mot au début du vers n'a pas la même valeur qu'un mot placé en fin de vers,
- Déceler les figures de style (généralement très nombreuses dans un poème),
- Travail sur les rimes : lien entre des mots qui riment, rimes riches ou faibles, etc.,
- Analyse du rythme avec les règles de métriques.
En filigrane, vous devez garder cette question en tête pour l'analyse des procédés d'écriture : comment le poète diffuse-t-il son thème général et comment fait-il ressentir au lecteur ses émotions ?
Rédaction du commentaire
Partie du commentaire | Visée | Informations indispensables | Écueils à éviter |
---|---|---|---|
Introduction | - Présenter et situer le poète dans l'histoire de la littérature - Présenter et situer le poème dans le recueil - Présenter le projet de lecture (= annonce de la problématique) - Présenter le plan (généralement, deux axes) | - Renseignements brefs sur l'auteur - Localisation poème dans le recueil (début ? Milieu ? Fin ? Quelle partie du recueil ?) - Problématique (En quoi… ? Dans quelle mesure… ?) - Les axes de réflexions | - Ne pas problématiser - Utiliser des formules trop lourdes pour la présentation de l'auteur |
Développement | - Expliquer le poème le plus exhaustivement possible - Argumenter pour justifier ses interprétations (le commentaire composé est un texte argumentatif) | - Etude de la forme (champs lexicaux, figures de styles, rimes, métrique, etc.) - Etude du fond (ne jamais perdre de vue le fond) - Les transitions entre chaque idée/partie | - Construire le plan sur l'opposition fond/forme : chacune des parties doit contenir des deux - Suivre le déroulement du poème, raconter l'histoire, paraphraser - Ne pas commenter les citations utilisées |
Conclusion | - Dresser le bilan - Exprimer clairement ses conclusions - Elargir ses réflexions par une ouverture (lien avec un autre poème, un autre poète ? etc.) | - Les conclusions de l'argumentation | - Répéter simplement ce qui a précédé |
Ici, nous détaillerons par l'italique les différents moments du développement, mais ils ne sont normalement pas à signaler. De même, il ne doit pas figurer de tableaux dans votre commentaire composé. Les listes à puces sont également à éviter, tout spécialement pour l'annonce du plan.
En outre, votre commentaire ne doit pas être aussi long que celui ici, qui a pour objectif d'être exhaustif. Vous n'aurez jamais le temps d'écrire autant !
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Commentaire composé du poème
Introduction
Charles Baudelaire est un poète français du XIXème siècle, essentiellement connu pour son recueil Les Fleurs du Mal, paru en 1857. Il est notamment le poète du spleen, sorte de mélancolie sans cause apparente, et qui dégoûte de toute chose.
Justement, le poème étudié ici est extrait de ce recueil, dans la deuxième section intitulé « Tableaux parisien », et s'appelle lui-même « A une passante ». Il y conte la vision d'une femme, une passante, qui retient son attention. Mais derrière cette scène a priori anodine se cachent des problématiques fondamentales : celles du temps qui passe en même temps que l'idée de destinée.
Annonce de la problématique
Comment l’évocation d’un coup de foudre devient celle d’une angoisse fondamentale ?
Annonce des axes
Nous verrons dans un premier temps comment s'offre la vision de cette passante au poète et, dans un second temps, comment cette vision transforme son intériorité.
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Développement
La vision d'une passante
Une peinture de la ville
Ce poème, conformément à la partie à laquelle il appartient dans le recueil des Fleurs du mal, est avant tout un « tableau parisien ». Le poète semble se trouver en plein coeur de la ville, et cette ville se définit avant tout par son hostilité.
Ainsi, dès le premier vers, le poète témoigne du bruit et du chaos de la rue, en personnifiant cette dernière :
« La rue assourdissante autour de moi hurlait. »
« assourdissante » et « hurlait » sont deux termes péjoratifs, qui sont complétées par des sonorités également hostiles : une allitération en /r/ et deux hiatus (le hiatus étant une rencontre de deux voyelles prononcées, et qui a pour effet une coupure, une discontinuité, souvent désagréable à l'oreille) : « rue assourdissante » et « moi hurlait ».
Le lecteur est donc invité dans un monde de fureur, qui ne paraît pas accueillant. Mais le poète lui-même semble appartenir à ce décor repoussant. Ainsi, dans le deuxième quatrain, « Moi » est mis en valeur, étant placé en début de vers et séparé du reste par une virgule, et permet un bref auto-portrait :
« Moi, je buvais, crispé comme un extravagant, »
« Crispé » et « extravagant » sont deux termes plutôt péjoratifs, qui renvoient à ce premier vers. D'une manière logique ou intituitive, une « rue assourdissante » rend « crispé » et les gens qui hurlent sont bien des « extravagant[s] ». Mais, en outre, on peut voir dans le terme « crispé » une immobilité en opposition à la mobilité de la rue, qui métaphorise la foule bruyante et vivace.
Mais ce vers nous renseigne aussi sur l'activité du conteur. Le terme « buvait » laisse ainsi penser que le poète est assis à une terrasse de café, même s'il se trouve boire dans l'oeil de la passante.
Cette passante, justement, est celle qui l'arrache à la fureur de la ville, tant elle paraît à l'opposé de ce qui s'y passe.
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Qui contraste avec la peinture de la femme
Le décor de la rue est établi en un seul vers (contribuant ainsi à la nervosité du poème) pour laisser rapidement place à l'apparition salvatrice de la passante, longue de quatre vers :
Longue, mince, en grand deuil, douleur majestueuse,
Une femme passa, d’une main fastueuse
Soulevant, balançant le feston et l’ourlet ;Agile et noble, avec sa jambe de statue.
La description de la femme fait contraste entre la rue (et lui) et sa beauté.
Ainsi, un vocabulaire positif constitue les vers : « longue », « mince », « majestueuse », « main fastueuse », « agile et noble », « jambe de statue ».
En matière de rythme, tout est fait pour donner une impression de lenteur et d'amplitude, qui sont l'inverse du mouvement (« autour de moi ») et de la contraction de la ville (« crispé »). D'abord, le vers 2 commence avec deux adjectifs (« longue » et « mince ») qui viennent retarder l'action (le verbe, qui n'arrive qu'au vers 3, est conjugué au passé simple). Le vers 4 reprend la même structure avec deux participes présents (« soulevant » et « balançants ») qui font référence à des mouvements de danse.
Le vers 4, quant à lui, est particulièrement harmonieux. Il repose sur quatre groupes de pieds de 3 syllabes (« soulevant / balançant / le feston/ et l’ourlet ») qui visent à retranscrire les mouvements balancés de la femme.
On peut également noter les sonorités propres à cette description, qui sont bien plus douces que les /r/ du premier vers . On trouve une allitération en /s/ (« mince », « majestueuse », « passa », « fastueuse », etc.) qui rappelle le frottement des tissus, et la rime riche entre les vers 3 et 4 qui vient ajouter à la beauté luxueuse de l'apparition.
Il faut également remarquer que cette description déborde sur le deuxième quatrain. On peut y voir une référence aux courbes de sa silhouette, décrite comme « agile et noble » ainsi qu'au mouvement de cette passante (« passa ») : les vers font se rejoindre fond et forme puisqu'ici, ils sont eux-mêmes agiles (étant sur deux quatrains à la fois) et nobles (puisqu'ils contiennent des rimes riches).
Qui perturbe le poète
Or, le poète se trouve fasciné par cette passante, qui incarne son idéal de beauté. Il réapparait brusquement avec ce fameux « Moi » isolé en début de vers.
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Son trouble est perceptible au travers du rythme haché des vers 6 et 7 :
Moi, je buvais, crispé comme un extravagant,
Dans son oeil, ciel livide où germe l’ouragan,
L'adjectif « crispé » insiste bien sur sa stupéfaction, tandis que le verbe boire renvoie à l'avidité et à la soif du poète qui convoite la femme-passante.
Car, surtout, cette apparition incarne l'idéal de l'amour baudelérien, dans lequel se mêlent douceur et violence. Pour preuve, l'antithèse « plaisir qui tue » - avec cette trace mortifère déjà présente dans la rime riche de « majestueuse » et « fastueuse ». De même, l'allitération en /s/ vient accentuer la douceur et la fascination qu'elle suscite.
Mais la présence de la mort (avec ces rimes « tueuse » et « tue ») est moins le signe de la fin que celui du renouveau. Au vers 10, en effet, Baudelaire utilise le verbe « renaître ». Car c'est l'effet de sa fascination : la passante lui a fait entrevoir l'idéal de beauté et, ainsi, lui insufflé vie et inspiration.
Transition
De fait, ce poème est conforme à la tradition du sonnet. Les deux premiers quatrains décrivent une situation (ici : la femme qui passe devant lui) tandis que les deux derniers tercets se consacrent à une réflexion plus générale. Dans ce poème, la réflexion suggérée par l'apparition de cette passante est celle du temps qui passe et de l'idéal qui s'échappe.
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Révélatrice d'une angoisse fondamentale
Une apparition fugitive
Ce poème repose sur les jeux de contrastes et d'oppositions. Nous avons déjà évoqué l'antithèse entre le chaos de la rue et l'harmonie de la femme.
D'une manière symbolique, cette dynamique d'opposés se concentre sur le premier hémistiche du premier vers du premier tercet :
« Un éclair… puis la nuit ! »
L'éclair fait référence au regard de la femme (on rappellera le vers 7 : « Dans son oeil, ciel livide où germe l’ouragan, ») autant qu'au passage rapide de sa silhouette. Et cet « éclair » est en rupture avec la « nuit » une fois la femme enfuie ; tandis que la ponctuation joue également sur la temporalité :
- les points de suspension symbolisent l'attente et la langueur
- le point d'exclamation symbolise le choc, la fugacité
En tout état de cause, dans la seconde partie du poème, il se trouve établie une nouvelle opposition : celle entre l'instant fugitif (« fugitive beauté ») et l'éternité (« Ne te verrai-je plus que dans l’éternité ? »). Le champ lexical du temps dans les deux tercets de la fin suggère bien la brièveté de l'apparition : « fugitif », « soudainement », « trop tard » ou encore « jamais » : le poète ne peut plus que la retrouver ailleurs, dans une éternité idéale.
L’appel à l’éternité (« Ne te verrai-je plus que dans l’éternité ? ») se brise contre l’aspect éphémère de la réalité. L’effet de chute qui vient fermer le sonnet (« Car j’ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais, / Ô toi que j’eusse aimée, ô toi qui le savais ! ») est ambivalent : il insiste sur l’échec de la transcendance (le poète reste où il est, la femme disparaît : il ne se passe rien, sinon d’amer), mais il évoque tout de même la possibilité de cette transcendance, de cet idéal.
En effet, la femme qui passe avait le pouvoir de sauver le poète puisqu’elle « savait » : « Ô toi que j’eusse aimée, ô toi qui le savais ! » Ce « savoir » est la preuve de sa nature sinon divine, au moins « surhumaine ». L’amour n’est pas un simple coup de foudre, bien sûr, mais l’amour de l’absolu, l’amour de l’idéal.
Cause d'un désespoir
Ainsi, dès la disparition de la passante, Baudelaire s'essaie à revivre l'instant fugitif de la rencontre, si bouleversant. Cette tentative est perceptible au travers de la question du vers 11, et l'emploi du futur de l'indicatif - qui traduit son échec dans le présent :
« Ne te reverrai-je plus que dans l'éternité ? »
Car le dernier tercet signifie bien son échec en même temps que son désespoir. Celui-ci est avant tout marqué par l'omniprésence du point d'exclamation (quatre occurrences en trois vers !) ; mais aussi par le lexique : « jamais » témoigne bien de l'idée de fatalité, et de résignation.
De même, le chiasme du vers 13 (un chiasme étant une phrase avec une structure en croix, du type ABBA) :
« Car j’ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais, »
Les « je » et les « tu » sont certes contenus dans la même phrase, mais cette structure en croix les fait se croiser sans jamais se rencontrer - voilà une allégorie de la destinée des deux personnages, qui resteront inconnus l'un pour l'autre.
Cette fatalité est encore accentuée par le dernier vers et ce pour deux points :
- il rappelle l'incantation, avec l'apostrophe « ô toi », et qui renvoie à une divinité, et donc l'idée de mythologie, d'irréalité
- le conditionnel passé « j'eusse aimé », mode verbal réservé à l'irréel, et qui vient souligner que l'accomplissement de leur amour ne peut prendre place dans la réalité
Cela témoigne en définitive de la posture déçue du poète face à un monde lui-même décevant, étant entendu que cette femme-passante est une allégorie de la beauté.
Une poésie allégorique
Car cette passante, plus qu'une simple anecdote, est bien une allégorie, qui est une forme de représentation indirecte qui emploie une chose pour un désigner une autre.
Et quelle est l’allégorie de ce poème ? L’allégorie de l’idéal.
La femme représente l’idéal, c’est-à-dire une réalité parfaite mais inaccessible : c'est la raison pour laquelle elle est métamorphosée en statue au vers 5. Nous avons en effet une métaphore, « sa jambe de statue », qui souligne son inhumanité. Elle survole le chaos de la ville, elle survole la réalité humaine et elle laisse apercevoir l’infini au poète :
Un éclair… puis la nuit ! – Fugitive beauté
Dont le regard m’a fait soudainement renaître,
Ne te verrai-je plus que dans l’éternité ?
Le thème de la renaissance est proche du thème du salut. Le salut qui n’a pas été possible par l’amour (c’est ce qu’exprime le subjonctif-plus-que-parfait) l’est donc seulement par l’art (la poésie).
C’est ce que nous pouvons constater, puisqu’il ne reste de cette rencontre, de l’idée même de la rencontre potentiellement salvatrice, qu’un sonnet.
Conclusion
Ce poème célèbre est représentatif de la poésie de Baudelaire : inscrit dans la tradition du sonnet (perfection formelle, effet de chute), il n’en est pas moins d’une modernité surprenante.
C’est cette modernité qu’on retient : le thème urbain du poème (la modernité quotidienne qui entre dans la poésie), et les interrogations métaphysiques d’un « sujet » en crise qui annoncent la « philosophie du soupçon » (comme le dit Michel Foucault) dont Nietzsche et Freud seront les représentants les plus clairvoyants au tournant du siècle.
Le poète, lui, reste enfermé entre son « spleen » et « l’idéal », et ne trouve de salut qu’à travers l’art poétique.
Si vous désirez une aide personnalisée, contactez dès maintenant l’un de nos professeurs !
J’ai beaucoup aimé
Formidable analyse !